samedi 12 mai 2012

Les sans-abris de mon quartier

J'habite The Annex depuis trois ans déjà, à deux pas de la célèbre Bloor et de son agitation habituelle. Dans mon quartier, y vivent quelques sans-abris et je ne peux m'empêcher d'éprouver de la sympathie pour chacun d'entre eux.

 Il y a la grosse femme francophone qui somnole constamment sur les bancs entre Bathurst et Spadina. Elle est énorme et fait tellement de rétention d'eau qu'elle en a les jambes tout enflées et des plaies aux chevilles. Chaque fois que je la croise, je remarque les mêmes bandages sales et des plaies toujours plus infectées. Cela me rend bien triste... Il y a le joueur de flûte à bec, un homme jovial qui se promène avec son instrument et placote constamment avec les passants. Je le croise souvent devant l'épicerie Metro 24 heures ou devant la LCBO. Il y a aussi l'élégante femme amérindienne qui joue de la guitare, coiffée de son chapeau western. Elle est toujours très discrète.

Et finalement, il y a le vieil homme qui marche... Je l'ai croisé pour la première fois dans la rue, je venais d'emménager dans le quartier, c'était le fameux été de la grève des employés de la ville de Toronto. J'avais une voiture à l'époque et, pour ne pas attraper de contraventions (je n'avais toujours pas pu me procurer de vignette de stationnement dû à la grève), je déplaçais ma voiture chaque matin en me réveillant. Un de ces matins, vers les six heures, je le remarquai de l'autre côté de la rue, les cheveux blancs et longs jusqu'aux épaules, une barbe de la même longueur et jaunie par le soleil. Il portait un manteau de type trenchcoat en feutre noir trop grand pour lui et des bottines sales et usées. Je me souviens m'être passée la réflexion: '' il est levé tôt pour un itinérant...''. Chaque fois que je le croisais, il portait toujours les mêmes vêtements et marchait, marchait, marchait, vraisemblablement à toute heure du jour et peut-être même à toute heure de la nuit.

Les semaines, les mois ont passés et je ne l'ai pas revu de l'hiver. Secrètement, je me demandais ce qu'il était devenu, s'il était malade ou même décédé. Quel ne fut pas mon étrange soulagement de le voir réapparaître au printemps, rasé et cheveux coupés courts, toujours occupé par ses longues marches énergiques, les yeux qui ne croisent jamais personne et un mutisme déconcertant. Le retour de l'été et plus particulièrement le début de juillet amena son étouffante canicule qui poussa même les autorités à parler de prévention pour les personnes âgées et les itinérants. Un matin, j'étais assise sur mon balcon auprès de ma mère qui était de passage pour quelques jours. Je le vis passer sur le trottoir, toujours habillé de son épais manteau de feutre, marchant lourdement en plein soleil, le visage rougi par la chaleur et l'humidité. Paniquée, je dis à ma mère qu'il fallait bien que je fasse quelque chose, que je ne pouvais pas le laisser de déshydrater au soleil comme ça, que sa santé était certainement en danger. Sous le coup de l'impulsivité, je pris une grosse bouteille d'eau et je parti à bicyclette afin de le retrouver et lui offrir au moins de quoi boire. Je le retrouvai finalement quelques minutes plus tard et m'approchai de lui: '' Sir, hello sir, here's some water for you''. Il me regarda, surpris qu'on lui adresse la parole, observa ma bouteille et dit dans un anglais approximatif: '' Water ? No... coffee, no water...''. J'insistai: ''Take it, please'' mais il avait déjà rebroussé chemin, me laissant penaude, la bouteille d'eau à la main. Comment pouvait-il préférer boire du café à de l'eau alors qu'il faisait 35 degrés au soleil ? C'est à partir de ce moment que je lui donnai un ou deux dollars chaque fois que je le croisais. Pour qu'il puisse s'acheter un café... Dernièrement, il n'a pas voulu accepter mon dollar, je ne sais pas pourquoi. Contrairement à avant, il a maintenant l'air nerveux et embarrassé. J'ai depuis même arrêté de le saluer. C'est la vie.

Dans mon quartier, y vivent quelques sans-abris mais je ne peux m'empêcher d'éprouver de la sympathie pour chacun d'entre eux...

MCL

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